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    Pleins feux sur les RIS 2 : Les protecteurs de la recherche.

    Pour ce deuxième volet de notre enquête sur les RIS, nous échangeons aujourd’hui avec Paul Gibson, RIS à Telecom Sud-Paris.

    Un entretien passionnant qui nous mène au cœur de l’intégrité scientifique, et la tentation de l’inconduite.  

    Laurence Moss – Depuis combien de temps êtes-vous Référent Intégrité Scientifique ?

    Paul Gibson Depuis 10 mois. C’est mon collègue Henri Maitre qui m’a suggéré de prendre ce poste.

    Laurence Moss - Pourquoi le poste vous intéressait-il ?

    Paul Gibson J’ai travaillé sur un projet européen concernant l’éthique numérique, et j’ai trouvé cela intéressant.

    Laurence Moss - Quel est votre parcours ?

    Paul Gibson J’ai un doctorat en mathématiques et informatique.

    Laurence Moss - Quels sont, à votre avis, les piliers de l’intégrité scientifique?

    Paul Gibson Être honnête, éviter les biais, surtout dans le domaine des mathématiques et des statistiques car il y a toujours plusieurs façons possibles de présenter les choses.

    Il est aussi très important d’avoir le respect des autres, de ses collègues, de la société. La question à se poser, n’est pas « Est-ce que je peux ? » mais « Est-ce que je dois ? » Il faut vraiment réfléchir à l’impact sur la société. Un exemple : blockchain a eu un impact négatif sur la société, mais il y a très peu de débat sur le sujet.

    Il faut se poser les bonnes questions avant de faire quelque chose, et ne pas le faire parce que sinon les autres vont gagner. C’est la même chose avec l’IA.

    Toujours penser à l’impact, au risque.

    Laurence Moss - L’office Français de l’intégrité scientifique explique que « En France, l’intégrité scientifique est désormais définie dans le code de la recherche (article L. 211-2) comme l’ensemble des règles et des valeurs qui doivent régir les activités de recherche pour en garantir le caractère honnête et rigoureux.»* Auriez-vous envie d’ajouter d’autres caractéristiques ?

    Paul Gibson Encore une fois, se poser la question de l’impact sur la société. Beaucoup de gens sont honnêtes mais ils ne se posent pas cette question. Il ne faut pas aller trop vite.

    On a perdu beaucoup de rigueur depuis vingt-cinq ans, surtout au niveau des publications. De nombreux scientifiques, moi inclus, pensent que les articles sont publiés de façon prématurée, et pourtant, cela continue de se produire. Il arrive souvent que, si un article est rejeté par un journal ou une conférence, alors il est envoyé ailleurs, jusqu’à ce qu’il soit accepté quelque part.

    Laurence Moss - Pendant votre carrière, avez-vous observé des cas d’inconduite ? Pouvez-vous en parler ?

    Pau Gibson En Irlande, j’ai constaté trois cas graves d’inconduite. Pour l’un d’entre eux, il avait été demandé à un doctorant de manipuler des données d’une façon qui allait à l’encontre d’un comportement scientifique intègre. J’en ai été informé, nous avons consulté un avocat, et l’affaire a duré dix-huit mois. Finalement, aucune sanction n’est tombée car personne n’a avoué.

    C’est pour cela que je m’intéresse à cette limite poreuse entre ce qui est éthique et ce qui est légal. Et surtout, je veux aider ces jeunes chercheurs qui sont mis dans des situations difficiles.

    Laurence Moss - Quelles sont les conséquences pour les inconduites ?

    Paul Gibson – Les chercheurs et chercheuses peuvent être renvoyé·es. J’ai connu le cas d’un chercheur au comportement sexiste. Il évitait de mettre le nom de ses collègues femmes en tant que premier auteur même si elles avaient effectué le travail. Il faisait aussi régulièrement des remarques désagréables vis- à -vis des femmes mais, en même temps, rien ne disait clairement si c’était illégal.

     Laurence Moss - Les publications sont souvent nommées comme source d’inconduite. Une conséquence du « Publish or perish » ? 

    Paul Gibson – Oui, tout à fait.

    Laurence Moss - Pourquoi une telle pression?

    Paul Gibson – Vous savez, moi, je n’ai pas publié d’article avant d’avoir mon doctorat. Maintenant, avant même la thèse, on demande un article. C’est devenu un moyen de recrutement : on demande combien d’articles ont été publiés. Ce qui compte, c’est le nombre car souvent les articles ne sont même pas lus.

    De plus, il n’y a pas de suivi de qualité. Comment peut-on publier jusqu’à vingt-cinq articles par an ?! Il faut bien avoir le temps d’effectuer la recherche ! Publier deux ou trois articles par an me parait beaucoup plus raisonnable.

    Laurence Moss - Quelle est l’influence des Paper Mills (sociétés qui vendent des articles faux ou plagiés à des auteur·es) sur la publication globale ?

    Paul Gibson – Cela exerce une influence certaine. Surtout dans les domaines des mathématiques et informatique. Et c’est pire avec Chat GPT ! Je soupçonne que certains articles sont écrits par des IA.

    L’objectif maintenant n’est pas de rechercher mais de publier. Il faudrait remettre tout le système de publication en cause. Les peer-reviews sont également de moins bonne qualité car tout le monde manque de temps. Mais je ne sais pas comment corriger le problème.

    Laurence Moss - Pierre Corvol, auteur du rapport sur l’intégrité scientifique, dans son interview à Colligere* parle de « salami slicing » (« diviser un article en plusieurs morceaux et produire ainsi autant de publications dénombrées comme différentes") et de « cherry picking »(« le fait de privilégier les données et/ou les résultats qui tendent à corroborer l’hypothèse initiale»). L’avez-vous souvent constaté ?

    Paul Gibson – Le « salami slicing » augmente, en effet, le nombre de publications. Un exemple : pour les simulations, on veut optimiser les choses, les coûts, etc., donc on reprend le même scénario mais en changeant une valeur, et comme ça, on peut produire un nouvel article.  C’est la même publication, il suffit de changer un paramètre.  Également, on ne publie pas directement les résultats de fin mais ceux des différentes étapes ; cela permet plus de publications, comme dans le domaine de la santé, par exemple.

    En ce qui concerne le « cherry-picking », oui, on cherche maintenant à minimiser le risque dans la recherche, sinon on risque de ne pas publier pendant trois ans.  Dans ce cas-là, on filtre, on manipule les données d’une certaine façon, et c’est malhonnête.

    Ces dernières années, j’ai constaté des fautes graves de statistiques car les données étaient mal filtrées en début d’expérience.

    Moi, j’estime que les résultats négatifs sont aussi importants que les positifs. Cela fait avancer la recherche. Mais ce n’est pas la norme. Si le résultat est négatif, il n’y aura pas de publication, et l’équipe n’est pas d’accord. Il est facile de réécrire une hypothèse pour obtenir un résultat positif.

    Mais le risque fait partie de la recherche !

    Cela-dit, je donne un travail comportant moins de risques aux doctorant·es ; c’est normal.

    Laurence Moss - Qui, pour vous, est le meilleur exemple d’intégrité scientifique ?

    Paul Gibson – Barbara Liskov (informaticienne américaine). Elle ne met pas son nom sur une publication si elle n’a pas contribué. Elle estime que c’est le travail des chercheurs et chercheuses (souvent des doctorant·es). Si elle le met, c’est toujours à la place appropriée. Elle a une très bonne éthique de publication. Elle a aussi beaucoup aidé les femmes dans le monde de l’informatique.

    Laurence Moss - Qu’espérez-vous changer en tenant ce poste ?

    Paul Gibson – Avoir plus de pouvoir pour convaincre que l’intégrité, c’est très important.

    Et aussi pour convaincre que des cours sur l’intégrité soient mis en place au même niveau d’importance que les disciplines principales. Les cours sur l’intégrité sont vus comme une obligation alors que c’est fondamental. L’intégrité, c’est un travail de tous les jours.

    Mon objectif ? Convaincre que se poser toutes ces questions, c’est un principe de vie, et que cela s’applique tous les jours, dans tous les domaines.

     
     

    *L’intégrité scientifique selon Pierre Corvol : épisode 2,

     par Pierre Corvol, Laure Léveillé – 24/01/2022

    Image by Freepik

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