Série d’articles « En milieu doctoral » – 2.A/4
Rencontre avec Adèle B. Combes
Adèle B. Combes est docteure en neurobiologie. Initiatrice de l’enquête “Vies de thèse”, elle a interrogé près de 2 000 personnes ayant effectué un doctorat en France. En janvier 2022, elle publie, Comment l’université broie les jeunes chercheurs aux éditions Autrement, une synthèse des résultats de l’enquête quantitative et de ses entretiens sous forme narrative.
Il s’agit d’un
large diagnostic, quantitatif et qualitatif, des conditions de travail en
milieu doctoral, dans lequel Adèle B. Combes questionne des problématiques
liées au #MeTooRecherche. Elle interroge des points comme le harcèlement
sexuel, le harcèlement moral, les discriminations et autres violences.
Mais l’enquête va bien au-delà. Elle aborde des aspects aussi divers que les violences psychologiques au sens large, le sexisme, le burn-out, la précarité et l’auto-financement des thèses, l’appropriation du travail, le détournement des postes de jeunes chercheurs sur des tâches de techniciens, les pressions horaires, le non-respect des aménagements liés au handicap, les critiques liées à la parentalité, la pression au rendement… A travers le prisme du doctorat, ce statut bien particulier, entre étude et travail, qui permet d’obtenir le diplôme le plus élevé au monde, elle interroge et quantifie de nombreuses situations observées sur le terrain.
Elle raconte l’histoire de Laurine, Baptiste, Sarah et bien d’autres qui ont souhaité s’exprimer pour briser le silence sur leur souffrance, leurs désillusions et les délits dont ils ont pu être victime. Par leurs témoignages, Adèle B. Combes présente les dynamiques d’un système qui maintient le silence sur ces situations.
Enfin, elle interroge les conséquences des situations vécues sur la santé des doctorantes et doctorants ; ainsi que sur l’avenir de la recherche publique en France. Et les chiffres sont éloquents.
81% des répondants ont déclaré constater une dégradation de leur santé physique et 89% de leur santé mentale, au cours de leur thèse.
Seulement 36% des répondants à l’enquête sont certains de vouloir faire carrière dans la recherche publique en France à la suite de leur doctorat.
Par son livre, Adèle B. Combes lance une “invitation à parler et à agir pour mettre fin à la souffrance dans la recherche, aux abus de pouvoir et à l’impunité de leurs auteurs”.
Nous avons répondu à son invitation et Marine Pansu, du réseau ALM formation, l’a rencontrée pour comprendre sa démarche, le fonctionnement systémique de la “loi du silence”, du “publie ou péris” à l’université (article 2.B) et les solutions envisagées pour réagir face à ces constats (article 3).
Marine Pansu - Votre enquête et votre livre s’inscrivent dans une démarche d’alerte sur les conditions de travail dans le milieu doctoral, à la suite de Isabelle Lagny ou Tiphaine Rivière par exemple. Comment expliquez-vous que les lanceurs d’alerte soient majoritairement des lanceuses d’alerte sur les thématiques des conditions de travail en milieu doctoral ?
Adèle B. Combes – Je ne sais pas s’il y a un vrai phénomène de lanceuses d’alerte, ou si c’est parce qu’il y a finalement assez peu de lancement d’alerte, ce qui fait qu’on remarque les femmes. C’est une vraie question, phénomène ou faible échantillon ?
Une des explications possibles, c’est que la parole a commencé à se libérer par des signalements de harcèlement sexuel. Les contours du harcèlement sexuel étant un peu moins flous que ceux du harcèlement moral, on en parle peut-être un peu plus. Les femmes étant plus souvent victimes que les hommes de harcèlement sexuel, elles se sont peut-être plus emparées de ce sujet.
Selon les chiffres du ministère de l’enseignement supérieur, 81% des présidents d’université sont des hommes. 65% des personnes habilitées à diriger des recherches (HDR) sont des hommes. 43% des personnes faisant un doctorat sont des femmes.
Marine Pansu - D’ailleurs, vous commencez votre livre par le témoignage de Laurine, sur une situation de harcèlement sexuel. Le mouvement Me Too, par exemple, a particulièrement médiatisé les questions de harcèlement sexuel.
Adèle B. Combes – Le mouvement MeToo est majeur dans la libération de la parole des personnes victimes de harcèlement sexuel et de sexisme, mais aussi de harcèlement moral. Il s’agit en réalité d’un mouvement de lutte contre toute forme d’abus de pouvoir, et le monde de la recherche n’est malheureusement pas épargné. A travers mon enquête j’ai découvert que le harcèlement moral touchait de nombreuses femmes ainsi que de nombreux hommes durant le doctorat. En revanche, le harcèlement sexuel touche beaucoup plus les femmes.
Dans l’enquête “Vie de thèse”, 6% des répondants déclarent avoir été victimes de harcèlement sexuel (8% des femmes, 2% des hommes). 20% des répondants déclarent avoir été victimes de harcèlement moral (22% des femmes, 17% des hommes ; 24% des personnes d’origine sociale précaire).
« En thèse, si tu ne souffres pas, ce n’est pas une bonne thèse ? »
Dans un deuxième article, Marine Pansu interroge Adèle B. Combes sur le fonctionnement systémique de ce qu’elle appelle la « loi du silence », le « publie ou péris » en milieu universitaire.
ALM formation accompagne les doctorants et doctorantes sur leur méthodologie tout au long de la thèse, pour une expérience réussie.