Pierrick a suivi Valentin, un doctorant qui apprend à apprivoiser l’art théâtral en participant au concours Ma Thèse en 180 secondes.
Entretien avec Pierrick Chilloux, réalisateur du documentaire Des bruits plein la thèse.
Bonjour Pierrick, vous avez réalisé un documentaire sur le concours Ma Thèse en 180 dans le cadre de votre M1 en cinéma et audiovisuel à Lyon. Ma thèse en 180 secondes est un concours qui permet à des doctorants de présenter leur thèse en 3 minutes. Pourriez-vous présenter votre film en 3 phrases ?
Pierrick – 3 phrases… ?
Valentin est doctorant en traitement en signal sonore quand iI décide de participer à MT180 pour mettre en valeur son travail. Il s’inscrit à l’atelier proposé par l’université de Lyon, avec la Ligue d’improvisation lyonnaise et ALM, et répète devant ses amis, ses collègues, les membres de son club de sport… Le film raconte sa stratégie pour apprivoiser l’art théâtral.
Bravo pour cette synthèse en 3 phrases !
Votre documentaire nous raconte l’histoire et l’évolution de Valentin, un doctorant qui apprend à vulgariser son sujet de thèse. Comment décririez-vous l’évolution de Valentin, personnelle et professionnelle, par l’apprentissage du théâtre et la participation à ce concours ?
Au niveau professionnel, il a acquis une certaine aisance dans la gestion de l’espace. Il donnait déjà des cours, donc il avait déjà des compétences au niveau du discours, mais au niveau du corps, il a vraiment développé quelque chose.
Au niveau personnel, ce qui est assez intéressant, c’est qu’il avait un sujet un peu bicéphale. Il y avait une partie sur la protection militaire des lieux sensibles, comme les centrales nucléaires et il y avait, d’autre part, la protection de la faune marine.
Donc, il y avait 2 voies possibles, personnelles et professionnelles, entre d’un côté un poste plus confortable lié au monde de l’entreprise ; et de l’autre un engagement écologiste lié au monde associatif. Au moment où il a participé au concours, il s’interrogeait beaucoup.
Le concours lui a montré que le côté engagement – protection de la faune marine – était plus proche de ses valeurs.
Il m’a dit découvrir qu’il voulait davantage défendre ce côté-là de son sujet. Cela lui donne envie de garder un lien avec la protection de l’environnement.
En l’écoutant, on apprend qu’il y avait des machines qui creusaient et extrayaient des minéraux sous la mer et que ce bruit gênait la communication des baleines ! Quand il a fait sa présentation devant tous ses publics, j’ai senti qu’il avait un rôle, pas forcément de “lanceur d’alerte”, mais qu’il pouvait rendre l’information accessible à un public qui n’avait pas cette information, qui est cachée dans le fond des océans.
Vous avez suivi le processus de préparation du concours, par le théâtre notamment, mais aussi une formation à l'écriture réalisée par ALM formation. Comment décririez-vous ce processus pour des doctorants qui souhaitent ou hésitent à participer au concours ?
Chaque doctorant suit son propre processus de travail, il y a plein de parcours différents. Mais pour être sélectionné, il faut déposer une vidéo de 3 minutes présentant son projet de thèse.
Ensuite, si le doctorant est sélectionné, il peut retravailler son texte ou le présenter tel quel. Il y a ensuite une demi-finale locale – c’est là que les doctorants montent sur scène, devant un public – puis une finale nationale et internationale.
A côté de ce calendrier, l’université de Lyon propose une formation à l’écriture avec ALM et une formation théâtrale avec la Ligue d’Improvisation Lyonnaise. Chaque doctorant est libre de choisir ou non cet accompagnement. Je parle de la formation de l’année 2019 – 2020 (parce qu’après cela a été modifié avec le Covid).
Avec cette formation, les doctorants peuvent préparer leur écriture, même avant d’envoyer la vidéo. Dès le départ, les doctorants peuvent être accompagnés dans la mise en mots de leur travail et l’écriture de la première version du texte.
J’ai rencontré Valentin alors qu’il venait de terminer son écriture, et nous avons pu nous entraider – lui m’accordant du temps pour le film, et moi lui offrant la possibilité de se voir en images pour travailler sa performance. Cela lui a aussi permis de se familiariser avec ma caméra. L’idée c’était vraiment que l’on puisse travailler ensemble. Il y avait presque une co-écriture sur les 2 plans, c’était une aventure intéressante !
On peut voir dans votre documentaire que Valentin répète beaucoup de fois son pitch pour préparer MT180. Combien de fois on répète un discours de 3 minutes pour ce concours ?
Si on suit Valentin dans son travail, c’est tout le temps, ça n’a jamais de fin. Dès qu’il avait un créneau pour répéter, il répétait. Mais comme on le voit dans le film, trop répéter sur courte période, ça peut aussi faire entrer l’acteur dans une mécanique.
Chacun doit trouver sa manière de répéter. Il n’y a pas de recette, cela dépend des personnes. 3 minutes, on peut se dire que c’est court, mais pas tant que ça en réalité. Savoir son texte c’est une chose, mais il faut aussi apprendre à respecter le temps, ce que j’ai moins souligné dans mon film car je voulais plutôt faire sentir la découverte d’un espace de liberté. J’ai choisi de ne pas mettre l’accent ni sur le côté concours et concurrents, ni sur le côté contrainte de temps. Mais en effet, cette contrainte de temps, elle oblige à répéter jusqu’à que le texte rentre dans les 3 minutes.
Dans le film Valentin répète devant différents types de public. Et à un moment, il dit “les collègues c’est pas un bon public”. Pour vous, quel est le bon public pour répéter, vulgariser et utiliser le théâtre pour parler de la science ?
C’est l’avis de Valentin qu’il a exprimé à ce moment-là, dans un contexte où il venait de répéter devant une partie de ses collègues. Valentin a composé un rôle en écrivant ce texte. Donc ce n’est pas complétement Valentin. D’ailleurs, il parle baleine au début et à la fin ! Il se crée un personnage hybride et, pour les personnes qui le connaissent, la frontière est peut-être parfois difficile percevoir.
Ce que j’ai voulu faire sentir dans le film, c’est justement qu’il n’y a pas de bon et mauvais public. Si on fait une performance dans la rue, on ne choisit pas son public ! Il n’y a pas non plus de lieu idéal pour jouer. Tout le monde est apte à recevoir un discours, un message, une performance théâtrale. C’est au performateur de trouver la bonne façon de démocratiser son discours, ou de l’adapter au public qu’il souhaite toucher.
Il a voulu aussi adapter son travail pour que ça correspondre à ce public-là – celui des collègues. Il a répété 3 fois devant des collègues différents, il ne s’est pas arrêté même si c’était difficile. Il a compris que c’était à lui de s’adapter et de trouver d’autres façons d’aller les chercher.
Pour moi, tout le monde est potentiellement un bon public. Mais il faut travailler. C’est à nous d’aller les chercher et de les emmener sur scène. C’est un jeu de rôle entre public et acteurs.
Pour vous, qu’est-ce que ça apporte à un doctorant de participer à ce concours ?
Ça dépend des doctorants, notamment s’ils ont déjà fait du théâtre ou pas. Le but de ce film n’était pas de vendre le concours.
À l’issue du tournage, j’ai appris à me méfier du penchant spectaculaire de la science. Ce côté médiatique et l’argent qui y est investi incitent parfois les scientifiques à faire des compromis qui ne sont pas forcément dans leur intérêt. J’ai compris qu’ils avaient une vraie responsabilité quand ils incarnent leur travail.
On s’interroge sur la vulgarisation grand public et la science. Certains ont décidé de laisser tomber leur doctorat pour aller vers la vulgarisation. Ça a été aussi un déclic pour certains.
Quel conseil donneriez-vous à un doctorant qui hésite à faire du théâtre et/ ou participer à ce concours ?
Un conseil ? Je n’ai pas été doctorant, scientifique, ni candidat au concours… Le travail collectif des doctorants était vraiment intéressant à voir et, comme pour mon travail, c’est toujours enrichissant de se rapprocher des autres et de travailler ensemble.
Vous avez suivi le travail de Valentin pendant plusieurs mois. Votre documentaire a été réalisé en 2019-2020, au début du Covid, qui a malheureusement annulé le concours en 2020. Qu’est-ce qu’ai devenu Valentin aujourd’hui ?
Juste après le premier confinement, il avait commencé des cours de théâtre. Mais il a dû abandonner avec le Covid. Il a quand même pu participer au concours l’année d’après. Il a joué devant un jury en présentiel et un public d’internautes en ligne. Lui qui visait le prix du public, il a dû jouer pour une caméra et pas une salle de spectateurs comme il l’espérait. Car, pour lui, un bon public c’était un public en chair et en os ! Mais ça a marché, il a gagné le prix du public – des internautes.
Ce prix n’a pas permis qu’il soit sélectionné au niveau national, donc son aventure s’est arrêtée là. Mais cela récompense bien le travail effectué !
Aujourd’hui, il travaille toujours dans l’entreprise dans laquelle il était en contrat CIFRE.
Il m’a dit qu’il ne perdait pas de vue ce côté vulgarisation et contact avec le grand public ! Il a réussi à aménager une place à cet engagement dans son emploi du temps professionnel, et j’attends avec impatience ses nouveaux projets.
Mais au fait, comment vous est venu cette idée ?
Au départ, j’étais au conservatoire de théâtre de Poitiers et dans le cadre d’un stage, un professeur avait évoqué le concours Ma Thèse en 180 secondes (MT180). Je n’en avais jamais entendu parler auparavant. Mais cela m’avait intéressé, je m’étais renseigné un peu et c’était resté dans un coin de ma tête. Quand je suis arrivé à Lyon et que j’ai dû choisir un sujet de Master 1, j’ai choisi de travailler sur ce concours qui prenait une dimension importante à Lyon et Saint Etienne, où le monde scientifique est assez développé.
Affiche : Agathe Girard
Envie d’être formé au concours ma thèse en 180′ ?